lundi 23 avril 2012

Écritures - Mémoires d'un métier, par Stephen King

La première chose qui me vient à l’esprit lorsque je pense à ce livre que je viens de refermer, c’est que je l’ai dévoré comme s’il s’agissait d’un roman – en moins de 24h, et encore, ça c’est pour les très bons romans. En fait, Stephen King ne nous dit pas comment écrire, mais il nous le raconte. Et de fait, en lisant ce livre, j’ai ri, souri (beaucoup) et même pleuré. Parce que bien plus qu’une leçon d’écriture, c’est aussi une leçon de vie. J’ai eu un peu l’impression d’écouter mon père, s’il avait été écrivain : par moment, on a juste envie de baisser la tête et d’acquiescer en silence, s’apercevant qu’on manque d’expérience. Ça fait du bien de se rappeler que parfois, on est juste un jeune con — et attention, ce n’est pas de l’auto-flagellation, simplement un moment formateur d’humilité.
Dans Écriture, Stephen King nous raconte comment il est devenu écrivain. Sachant ceci, j’avais d’abord hésité à acheter ce livre : les autobiographies, ce n’est pas mon truc, et franchement, Stephen King a beau être l’un des mes écrivains favoris, sa vie ne m’intéresse pas vraiment. Mais le quatrième de couverture de l’édition de Poche vend bien mal le livre : c’est beaucoup plus qu’une autobiographie. Car ici la vie de l’écrivain sert à mettre en perspective l’acte d’écrire, en nous montrant notamment le rapport inextricable qui lie l’art et la vie, comment l’un se nourrit de l’autre, et vice versa.
Ce n’est pas un manuel d’écriture. Pas de recettes. Certaines règles, oui, mais qui découlent uniquement du bon sens et de la pratique d’écrivain comme de lecteur, et non d’un savoir académique. L’un des messages de ce livre est extrêmement simple, et pourtant reste l’un des principes fondamentaux de toute démarche d’écriture : lire, écrire, pratiquer. En fait, King nous préconise de ne pas être pressé. De prendre le taureau par les cornes et de consentir à la longue lutte qui va s’ensuivre. Ne pas chercher de raccourcis, une sorte de « voie express » de l’écriture qui pourrait amener plus vite à la publication et au succès. Il n’y a pas de cours, pas de livres, pas de préceptes qui peuvent remplacer une longue pratique. Ça paraît évident, mais je crois que la grande majorité des jeunes écrivains sont confrontés au moins une fois dans leur vie à cette impatience et à cette fausse idée que ça ne prendra pas autant de temps à condition d’utiliser les bons outils.
Une autre leçon essentielle du livre, et tout aussi simple, c’est de dire la vérité. Et en effet, lorsqu’on veut parler d’une série ou d’un livre particulièrement réussi on dit souvent « c’est tellement vrai ! ». C’est pour cette raison, notamment, que King préconise de dire « aller chier » quand c’est la première expression qui vous vient à l’esprit, au lieu de dire « aller faire caca », ou « aller se soulager ». L’exemple est caricatural, mais ce qui est important, c’est de ne pas écrire des choses auxquelles on ne croit pas. Et je pense effectivement que l’un des immenses talents de Stephen King, c’est la réalité quasi-palpable de ses personnages avec lesquelles on entre en empathie, et qui rendent ses romans si prenants. Et c’est en suivant ce précepte (sans se croire obligé, comme Rousseau, à raconter la moindre humiliation) que King nous livre un portrait honnête de lui-même, et en le faisant, il force notre respect ; et cela donne beaucoup de valeur à ses paroles. Ce que j’admire le plus, je crois, c’est cette absence totale de désir de se mettre en avant, cette façon absolument dépourvue d’affectation dont il aborde même les sujets les plus graves, comme ses années d’alcoolisme. Ces passages, même s’ils ne visent pas cet effet, sont pour moi une grande leçon d’écriture1. C’est simple. Cruellement, tristement, pathétiquement simple.
Tout est simple, dans ce livre. Presque lumineux. Enlevez tout ce qui ne fait pas partie de l’histoire, ce qui ne sert à rien pour l’histoire. Ne soyez pas timides. Le lecteur doit comprendre tout seul vos intentions sans que vous n’ayez besoin de les leur expliquer (l’exemple de King est celui des adverbes qui agrémentent notamment les verbes déclaratifs : dans la plupart des cas, on ne devrait pas en avoir besoin, car le contexte doit nous indiquer la manière dont parle le personnage de manière suffisamment évidente). En fait, il aborde ce fameux show don’t tell, expression très à la mode en ce moment chez nous, et que j’avoue trouver plus complexe qu’elle n’en a l’air. Un des défauts du tell dont nous parle King, c’est l’utilisation à outrance de la voix passive. Pour lui, le fait que l’action ne soit pas effectuée directement par le sujet, mais subie est la marque d’une timidité de la part de l’écrivain, une mise en retrait, un manque d’engagement. De plus, cette utilisation correspond parfois à la recherche d’un style faussement élaboré, et donc, on y revient, à l’affectation. Il s’agit donc non pas d’expliquer, de décrire, mais de faire agir ses personnages, de donner de la vie au texte, en l’écrivant, si j’ose dire, franchement. Et là encore, le savoir ne sert strictement à rien si on n’a pas, comme dirait King, « les mains dans le cambouis ». Parce que les grands principes de l’écriture, on les connaît à peu près tous. Mais, bizarrement, on les applique peu. Tout simplement, une fois de plus, parce que ce n’est pas si facile.
En résumé, ce livre nous rappelle que l’écriture est une longue traversée sur un océan houleux, mais que c’est avant tout un plaisir. Et ce plaisir exige que l’on soit honnête, audacieux, curieux. Il aidera sans doute beaucoup d’écrivains débutants à se remettre sur les rails en cas de déprime, en nous rappelant que même des grands comme Stephen King ont eux aussi reçu des quantités de lettres de refus avant de publier pour la première fois. De plus, l’expérience de vie de King est instructive à plus d’un égard, car, comme il ne nous le rappelle, ce n’est pas la vie qui doit s’adapter à l’écriture, mais bien l’écriture qui soutient la vie. Et son expérience en est un superbe exemple, car c’est par l’écriture qu’il a survécu à ses cauchemars.

Et dire que j’ai trouvé ce livre chez un bouquiniste pour trois euros dix… Mais qui a bien pu vouloir le vendre ?! 

1J’ai lu ce livre en français, et je salue au passage le boulot du traducteur, William Olivier Desmond.

2 commentaires:

  1. Voilà qui me donne encore plus envie de le lire (après toutes les bonnes critiques que j'ai lues dessus) !

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  2. Hello !

    Contente d'avoir pu te convaincre alors ! :)

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